Du leadership du lion et de sa traduction en droit français…
Ou les cas Lévy, Lafont et Kron
Pour mieux suivre l’actualité marquée en ce début d’année par une recrudescence d’OPA, de fusions, de vente ou d’achat partiels de sociétés, je me suis inscrit à un mooc de France Université Numériques sur le droit des entreprises. Je ne sais pas si je vais améliorer ma connaissance du monde du business fin de crise. Mais déjà j’aurai mieux compris la notion de « clause léonine » ou part du lion… en lisant ce petit conte l’illustrant, posté en commentaire par un des étudiants :
Le lion, le loup, et le renard (AL-QALYÛBI (1580- 1659)
Un lion, un loup, et un renard se lièrent d’amitié et décidèrent de sortir pour aller à la chasse.
Ils attrapèrent un âne sauvage, un lièvre et un cerf.
Le lion s’adressa au loup : « Partage entre nous trois. »
Le loup dit : « Ecoute, tout cela me parait simple : l’âne est pour toi, le lièvre pour Renard, et je prends le cerf ! ».
Le lion d’un coup de patte lui fit voler la tête loin du corps. Puis il s’adressa au Renard : »Ah ! que notre ami est ignorant dans l’art du partage ! Vas-y toi, procède à la répartition de notre chasse ! »
Le renard s’approcha et déclara : « Cela me semble évident : l’âne est pour le déjeuner de sa majesté, le cerf est pour son diner, et le lièvre est pour son gouter, entre ces deux repas. »
« Que tu es juste ! » s’écria le lion, qui t’a inculqué ce sens de la justice ?
« C’est de voir la tête du loup séparée de son corps, à l’instant. »
N’y voyez aucun lien avec ce qui va suivre…quoique…
Ecoutant l’autre soir Monsieur Lévy expliquer les raisons de la rupture entre son groupe et Omnicom, cette notion d’équilibre à sauvegarder de son point du vue, je me demandais s’il ne s’était pas carrément trompé de sujet :
Quand on prétend « fusionner » deux entreprises, c’est pour les immerger dans une nouvelle au point qu’on ne puisse plus distinguer les traces des deux anciennes. Et si Monsieur Lévy explique qu’il voulait préserver l’équilibre prétendu entre les deux entreprises, il admet deux erreurs
- Il s’est égaré sur le concept, il ne voulait pas « fusionner » (« s’immerger » dans un nouvel ensemble, il voulait au mieux se marier (garder son individualité, l’enrichir), au pire, faire un coup (lequel et au profit de qui… ?) ,
(mais du coup, il a fait preuve de naïveté, il a dénié la part de lion qui l’habite),
- Il s’est fourvoyé dans la composition de son équipe projet : aux multiples juristes, fiscalistes, consultants, communicants, il fallait y intégrer un staff de psychologues pour l’ aider sur le plan humain (humain ?)…
Pour ne pas l’avoir fait, voilà chacune des deux équipes en butte au questionnement légèrement ironique de leurs clients (qui s’en fichent un peu), de leurs actionnaires (quel effet sur le cours de l’action ?), mais surtout des collaborateurs qui eux, ont aussi besoin au quotidien de voir le sens de cet aller-retour…Sur ce plan, il y a nécessité d’engager une nouvelle équipe de communicants, de crise…
A ce propos – la fusion entre égaux - quand je vois les efforts déployés par M. Lafont, PDG de Lafarge (la partie suisse ne s’exprime pas en France…pourquoi ?) pour convaincre les différents interlocuteurs qu’il rencontre (et il en rencontre beaucoup) du bienfondé de cette « fusion entre égaux »1 , je me demande s’il ne fait pas mine de commettre la même erreur que Monsieur Lévy, juste le temps de la préparation de ladite fusion, lui-même étant assuré de son avenir…
Monsieur Kron, lui, est un fin renard. Il anticipe, il sait que son entreprise n’est pas de taille, donc il la vend sans barguigner à GE. D’autant que son actionnaire principal, Bouygues, a des fourmis dans les jambes et souhaite quitter le navire. Et on comprend qu’il agisse ainsi puisqu’il est lui-même membre du Conseil d’administration de Bouygues2 . Nous pouvons donc répondre à la question de Pierre-Yves Gomez Le Monde du 6 mai 2014, « Qui décide pour Alstom ? »3 .
Simple, c’est Bouygues.
Sauf qu’un grain de sable s’est glissé dans les rouages de cette parfaite machinerie (il est polytechnicien ET ingénieur des Mines), il a péché par excès de confiance, et il a manqué d’empathie, bref, il a négligé le facteur humain.
Du coup, sans que cela ait un lien de cause à effet, Bouygues aujourd’hui en danger face à un autre prédateur annonce un plan social de 2000 postes. Donc 2000 salariés pour lesquels la question du sens sera résolue.
De beaux exemples de leadership qui interrogent sur la gouvernance d’entreprise.
Bertrand Lumineau
1 jusqu’au nom du nouvel ensemble,ce « mastodonte » qui fait saliver certains commentateurs) qui s’appellerait LafargeHolcim (sic) : comme si nous pouvions croire à un nom aussi abracadabrantesque !
2 Depuis, Monsieur Kron a été nommé administrateur de SANOFI. Le 5 mai. Il a donc aussi anticipé son avenir personnel. Qui le lui reprocherait ?
3 http://www.lemonde.fr:economie/article/2014/05/05/qui-decide-pour-alstom_4411533_3234.html
Sur un autre registre – mais qui touche tout autant la question de la gouvernance de l’Entreprise – cet article d’Isabelle Ferreiras dans L1, le journal de l’ancien directeur du Monde, Eric Fottorino, « Pour l’affranchissement des salariés dans l’entreprise », dont je vous citerai juste la première phrase : « L’entreprise capitaliste actuelle ressemble singulièrement à une Angleterre gouvernée par une seule chambre des Lords.»
La CGT perd des plumes aux dernières élections intervenues tant les grandes entreprises du public( La Poste, EDF, SNCF) que du privé (Air France, PSA, Orange, sans parler de son recul dans la fonction public. Est-ce si étonnant ?
Du trouble du comportement des organisations : le cas de la CGT
Une organisation peut connaître des troubles du comportement comme une personne.
Dernier exemple, la CGT à travers sa Fédération Nationale Mines Energie CGT.
Voulant gêner sans doute le premier ministre dans un déplacement politique avant une élection partielle, elle coupe l'électricité de la salle où celui-ci doit s'exprimer. Peut-être cette action se voulait-elle humoristique... Sauf que le savoir-faire de cette centrale en matière d’humour reste à démontrer...
- Le procédé est illégal, le motif en est politique : protester contre la loi de transition énergétique actuellement en discussion au sénat. Sauf que l’intervention d’un syndicat sur un sujet politique et sous cette forme pose question sur le plan légal.
- D’autant plus que la coupure de courant a également eu comme effet de priver près de 2000 foyers d'électricité, donc, souvent, de chauffage dans une région où il ne fait pas chaud en hiver. Certes la coupure a duré moins d’une heure, mais quand même !
- Empêcher quelqu'un de s'exprimer est anti-démocratique, ce qui est pour le moins étonnant de la part d'une organisation qui défilait l'autre dimanche pour la liberté d'expression.
Mais, à l'époque, la tête de la CGT s'appelait Monsieur Le Paon, et, depuis, cette tête est tombée.
Alors pourquoi, direz-vous, accuser la Fédération Nationale Mines Energie CGT ? Je me trompe, elle n'a rien fait, lisons plutôt son communiqué : «La Fédération Nationale Mines Energie CGT et ses syndicats présents au rassemblement à Audincourt soutiennent la coupure d'électricité réalisée par les électriciens et gaziers lors du meeting. »
Elle soutient mais ne reconnaît pas qu'elle est l'instigatrice de l'action… Courageuse, la Fédé, mais pas trop. En l’occurrence je dirais « pleutre », le mot semble convenir. Piètre image du syndicalisme.
Cela dit, ce n'est pas la première fois que nous constatons de graves troubles du comportement au sein de cette organisation : nous nous souvenons de grèves de juin à la SNCF, sur un sujet à consonance sociale certes, mais cette fois encore appartenant à la sphère politique, le rapprochement de Réseaux Ferrés de France et la SNCF sous le même holding. Et de l'image d'une organisation totalement à la dérive, à la traine de Sud, le secrétaire général Thierry Le Paon saluant des amendements au projet de réforme ferroviaire alors que le leader des cheminots, Gilbert Garrel, les qualifiait « d'enfumage ». Et des cortèges de manifestants de la CGT traversant les voies à la Gare Montparnasse sous l'œil éberlué de voyageurs en rade.
Et puis il y a cette « affaire » Le Paon, déclenchée de l'intérieur pour des raisons dont on a peine à croire qu'elles ont réellement à voir avec le coût de remise en état de son appartement, ou une quelconque prime de départ (seuls certains media ou syndicalistes de base naïfs ont pu avaler cette fable).
Ce que nous voyons, simplement, c’est que la CGT perd la tête, au propre et au figuré.
Monsieur Le Paon démissionne moins de deux ans après avoir été désigné (et après quels atermoiements…), et l'homme pressenti pour jouer le rôle de Secrétaire général -la tête de la CGT- n'a pas été confirmé ni vraiment désavoué par le Comité confédéral national qui lui laisse une seconde chance.
Mais comme dit Jean-René Mouriaux : « On ne voit pas sur quelle ligne de fracture cela s'est joué ».*
Du coup, nous comprenons mieux que les négociations sur le dialogue social n'aient pas abouti (elles n'ont pas échoué non plus) : quelle confiance peut inspirer une organisation syndicale qui représente près de 27% des suffrages exprimés (toutes élections dans les entreprises du secteur privé confondues) aux interlocuteurs patronaux, déjà peu enclins à signer quoique ce soit en la matière ?
Bertrand Lumineau
http://www.lejdd.fr/Societe/CGT-Philippe-Martinez-a-plus-de-legitimite-que-Thierry-Lepaon-selon-Rene-Mouriaux-715410--selon-Rene-Mouriaux-715410