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Vous êtes  le maître de monde (enfin presque, vous êtes à la tête d’un empire, appelons-le 3Z – valant plusieurs milliards- acheté à crédit), vous voulez vous développer –encore-, à crédit –toujours- vous jetez votre dévolu sur une nouvelle société – appelons-la 4SSS - , bien sûr, d’autres groupes ont envie de 4SSS, notamment le groupe 5BBB.
 "Les entreprises 3Z et 4SSS sont complémentaires. Nous allons associer deux entreprises à forte dynamique pour un projet de croissance",
expliquez-vous aux media, et vous ajoutez que vous ne procéderez « à aucun licenciement collectif économique du fait de la rationalisation de structure des entreprises concernées par la cession.»
Le PDG du groupe vendeur –4SSS- explique pourquoi il a choisi votre groupe, 3Z :
« 5BBB et 4SSS font des métiers très proches. Il y aurait eu 4000 à 6000 personnes en trop, sans compter les sous-traitants. La situation aurait été difficile à gérer, alors même que 5BBB s'était engagé à ne pas licencier pendant trois ans."
Pour enlever le morceau d’ailleurs, vous n’avez pas été avare d’engagements, notamment en matière d’emploi, vous signez un accord avec le gouvernement, garantissant un maintien de l’effectif pendant 3 ans.
24 mois plus tard, vous annoncez que le nouveau groupe est en sureffectif, 5000 emplois en trop,
Mais, dites-vous,
"Les gens ont horreur des chefs d'entreprise qui font de la politique, qui ne disent pas ce qu'ils vont faire, qui font semblant. Quand on parle à quelqu'un, si on lui dit les choses dès le début ça se passe très bien".
Le manager de choc que vous avez engagé1  développe vos propos quelques jours plus tard, les engagements seront tenus mais la garantie de maintien de l'emploi est, dit-il, une "situation inédite, frustrante pour les salariés et [...] pénalisante pour l'entreprise", il compte bien la corriger. Et vite, dès la fin de cette période du gel des emplois (3 ans). Cette restructuration est nécessaire, le "marché est très difficile", le groupe doit garder sa compétitivité, "des adaptations seront nécessaires".
Pour illustrer les difficultés rencontrées, un résultat net semestriel négatif est annoncé.
Dans la foulée, un plan de départs – volontaires - est conclu avec certaines organisations syndicales, plan résolument généreux, coût annoncé entre 600 et 800 millions d’euros, soit de 120.000 à 160.000 euros par salarié.
Oui, bien sûr, vous avez reconnu l’histoire de la fusion Numericable-SFR, avec Messieurs DRAHI et COMBES dans le rôle des acteurs principaux.
Précisions :
- le prétendu engagement de 3 ans court depuis la mi-2014, et non depuis la date de fusion effective de Numericable et de SFR, novembre 2014. Donc il s’agit d’un engagement réel de 30 mois et non 36.
- à l’origine, l’effectif de SFR était de 9000 salariés, et celui de Numéricable, de 2000. Aujourd’hui, l’effectif du groupe serait de 14.500 salariés2 , mais le prix à payer pour l’ensemble originel SFR-Numéricâble3  sera de 4000 emplois en moins. Et Monsieur Fourtou, PDG de SFR, expliquait qu’en termes d’emploi, le prix d’une vente à Bouygues aurait été trop coûteuse, de 4000 à 6000 emploi !
En tout état de cause le résultat semestriel négatif annoncé est principalement dû à des coûts exceptionnels liés au refinancement majeur intervenu en avril 2016 (221 millions d’euros). Hors l’impact de ce refinancement, le résultat net aurait été positif à +178 millions d’euros4 .
Petit rappel, Monsieur COMBES est le « sauveur » de la société ALCATEL qui était malade. Mais l’a-t-il sauvée ou vendue ? Ce qui est sûr, c’est qu’il a supprimé un quart de l’effectif mondial, soit 20.000 postes 5.
Donc un expert, mais pas forcément en matière de business, ni de management, ni de gouvernance.
Nous attendons les réactions imminentes de Messieurs GATTAZ6 , très emmêlé dans les affaires de représentativité du MEDEF, et contrarié par son opposition interne, de Messieurs MARTINEZ et MAILLY 7, BERGER et BERILLE 8, HOMMERIL, le nouveau secrétaire de la CFE-CGC.

 

 Bertrand LUMINEAU

 Citations du début du texte :
http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/rachat-de-sfr-par-numericable-une-bonne-nouvelle-pour-l-emploi-et-les-clients_1506834.html
http://www.generation-nt.com/sfr-operateur-michel-combes-sureffectif-correction-actualite-1930537.html

 1Pour faire jouer les synergies (sic)
2Par intégration de filiales, notamment de distribution.
3Sociétés qualifiées de « complémentaires » par Monsieur DRAHI lui-même avant la fusion
4Voir communiqué de presse du 6/08/2016, « Résultats du 2ème semestre 2016 ».
5Et d’engranger au passage 13,7 millions de bonus à titre personnel. Somme ramenée à 8 millions seulement, certains esprits malveillants ayant mis en doute la validité juridique et le bienfondé de ce bonus.
6Très emmêlé dans la question de la représentativité du MEDEF,
7Sans doute en train de se ressourcer après leurs randonnées épuisantes dans les rues de Paris au printemps.
8Dont le syndicat interne Numericable-SFR a signé le plan de départs – volontaires -…

 

 

 

Rappelons-nous, le 7 septembre dernier, tombe une dépêche AFP, aussitôt reprise par l’ensemble des medias : Alstom1  va arrêter, d'ici à 2018, la production de trains sur son site de Belfort. Cette activité, ainsi que l'ingénierie, sera transférée sur l’usine de Reichshoffen, dans le Bas-Rhin.  Resteront à Belfort 80 postes, les 400 autres salariés se verront proposer un transfert vers les sites d'Alstom en France. Raison invoquée : une chute de 30 % des commandes d'ici à 2018.

Comme l’écrit Le Monde2 le lendemain  : « Salariés et syndicats balancent entre sidération, inquiétude et colère après l’annonce ». 

MM. Sapin et Sirugue3   convoquent d’urgence à Paris le PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge4 , pour lui faire part « de leur incompréhension du caractère soudain et non concerté de cette annonce5 » .

Deux lignes du Figaro résument la situation :  «Colère et sentiment de «trahison» des citoyens et élus locaux, réunion de crise à l'Élysée, agitations et commentaires acerbes de politiques toutes part6» .

***

Moins d’un mois plus tard, après un suspense à couper au couteau, Alstom Belfort est sauvé, l’Etat va commander 15 TGV à Alstom, la SNCF va acheter six rames TGV et commander 20 locomotives dépanneuses, et Alstom elle-même va investir pour faire de Belfort un centre de maintenance.

Certes, les 15 TGV vont être affectés au réseau  Intercités - notamment aux lignes Bordeaux-Marseille et Montpellier-Perpignan - et ne rouleront pas au maximum de leur vitesse. C’est complètement ridicule, mais l’usine Alstom de Belfort survivra et les compétences seront préservées ; c’est bien là l’essentiel, n’est-ce pas ?

***

Sauf qu’on nous a sans doute raconté une belle histoire, une histoire à connotation sociale, 400 salariés ultra compétents ne seront pas obligés de déménager à Reichshoffen (ou ailleurs), et leur savoir-faire sera préservé pour être utilisé lors de la mise en chantier du TGV du futur à l’aube des années 2020 !

-Mais beaucoup de ces experts ont déjà quitté l’usine de Belfort et Alstom – ils étaient 1400 en 1990 ! – sans alarmer personne. Et d’autres partiront encore avant la mise en chantier des TGV du futur vers 2020/2021. 

D’ailleurs cette « expertise » TGV sera-t-elle bien utile pour construire les TGV du futur ?

-Reprenons : l’annonce du 7 septembre 2016 a été faite à l’usine de Belfort, de façon tout à fait informelle, par convocation des délégués syndicaux du site par la direction, puis par la tenue de réunions par petits groupes des salariés du site le même jour… 

Quand elle aurait dû l’être au Comité Central Entreprise d’Alstom puisqu’elle concernait l’ensemble des sites français qui avaient vocation à accueillir les salariés reclassés de Belfort.

Mais aucune plainte de l’Inspection de travail n’a été déposée, et aucun leader syndical, local ou national,  n’a trouvé à redire sur la procédure d’information du personnel 7.

Curieuse timidité de la part d’un monde syndical encore chauffé à blanc par la loi El Khomri, non ?

-Et si nous revenons deux ans en arrière : le délégué de la CFDT, Olivier Kohler est interviewé dans le Monde du 18 décembre 20148 . Que dit-il ?

« Les salariés sont à la fois inquiets et fatalistes » résume Olivier Kohler. « Pour le moment, il fait encore beau, mais on attend l’orage. »

A Belfort, la Traction peut-elle être viable avec deux fois moins de salariés ? « On pense que non », poursuit le syndicaliste. « La perte de savoir-faire et de compétences serait telle qu’on ne serait plus en mesure de répondre à des appels d’offres pour les types de machines que l’on produit aujourd’hui. La direction a, semble-t-il la volonté de modifier notre outil industriel : l’établissement ne fabriquerait plus du matériel neuf, mais se spécialiserait dans la maintenance, la réparation, la remise aux normes. Entre 50 et 150 personnes suffiraient alors. »

En deux mots, Kohler savait déjà ce qui allait se passer à Belfort près de 2 ans plus tard. Et il avouait que la soi-disant compétence inestimable des salariés du site n’existe plus. 

***

Tout sauf une surprise cette annonce du 7 septembre !

Mais les medias ont tous marché comme un seul homme. 

Sauf que nous ne sommes pas forcés de croire à ce qui ressemble aujourd’hui9  à une petite manipulation. 

Bertrand Lumineau

1Alstom qui vient d’annoncer, fin août, une commande de 28 trains à grande vitesse pour l'Américain Amtrack, et vient d’être choisi par la SNCF comme partenaire pour la conception d’un nouveau train à grande vitesse.

2http://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2016/09/08/pour-les-ouvriers-alstom-de-belfort-c-est-un-gros-coup-de-massue_4994505_1656968.html

3Ministres, mais qui affirment tomber des nues. Pourtant, l’Etat siège au Conseil d’Alstom depuis la vente de 70% de l’activité de la société à General Electric en 2014 : Bouygues a prêté ses actions à l’Etat.

4Henri Poupart-Lafarge, polytechnicien, comme son prédécesseur, Monsieur Kron. Mais lui a fait les Ponts, quand son prédécesseur a fait les Mines.

5http://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2016/09/08/pour-les-ouvriers-alstom-de-belfort-c-est-un-gros-coup-de-massue_4994505_1656968.html

6http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/explicateur/2016/09/12/29004-20160912ARTFIG00262-alstom-ce-qu-il-faut-savoir-pour-comprendre-la-crise.php

7Personne, ni media, ni personnel politique ne s’est posé de questions sur cette procédure « atypique »…

8http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/12/18/rep-a-belfort-le-spleen-de-la-traction_4542809_3234.html

9Alstom aurait des visées sur Thalès…

 

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