Mon idée première en commençant la rédaction de cette rubrique était d’aborder la question des indemnités de chômage que le gouvernement, de manière insistante, prétend vouloir rendre dégressives. Sauf que, dans ce domaine, le politique n’a pas droit au chapitre : le fonctionnement du système d'indemnisation dépend d'un mécanisme franco-français, le paritarisme. C'est à dire que les conditions d'indemnisation et le montant de celle-ci sont fixés par les « partenaires sociaux », soit les organisations syndicales patronales et salariales. En clair, le déficit abyssal 1 de ce régime est dû aux décisions de ces organisations, dont le Medef, cette organisation si prompte à exiger des autres –et de l’Etat en particulier - des mesures de baisse des charges sociales. Que ne commence-t-il par montrer l'exemple, serions-nous tentés de dire à ses représentants 2.
Et c’est bien le message que lui adresse le gouvernement, « Vous nous demandez des efforts, nous en faisons en allégeant les charges, mais il ne se passe rien sur le front du chômage, vous réclamez à cor et à cris la suppression du CDI, la dissolution du Code du travail, la disparition des 35 heures, etc… Et si maintenant vous vous y mettiez aussi au lieu de toujours tout demander aux autres ? ».
Bon, tout le monde sait que le chômage de longue durée n’est pas soluble dans la dégressivité des indemnités, rien ne vaut un salaire et un emploi. Le vrai problème c'est bien le travail, ou sa raréfaction.
Restent 29 milliards de déficit de l’UNEDIC qui ne sont pas perdus pour tout le monde : ce régime a aussi permis depuis la nuit des temps 3 aux entreprises de se restructurer, pardon, de se redéployer au nom du concept – à géométrie variable - de « sauvegarde de compétitivité » ; et de licencier notamment les salariés de plus de 55 ans, futurs chômeurs de longue (ou très longue) durée, ceux-ci étant ensuite indemnisés par l’UNEDIC, donc, en partie, par les salariés eux-mêmes. Solution de facilité utilisée par toutes les entreprises, en mal de compétitivité ou non.
Bon, à suivre.
Mais finalement, plutôt que de vous parler de ce thème, toujours très anxiogène, je vais juste vous entretenir d’un petit film que j’ai vu récemment. Son titre : « Demain ».
Je vous livre le résumé emprunté sur le site du film :
« Alors que l’humanité est menacée par l’effondrement des écosystèmes, Cyril, Mélanie, Alexandre, Laurent, Raphäel et Antoine, tous trentenaires, partent explorer le monde en quête de solutions capables de sauver leurs enfants et, à travers eux, la nouvelle génération. A partir des expériences les plus abouties dans tous les domaines (agriculture, énergie, habitat, économie, éducation, démocratie...), ils vont tenter de reconstituer le puzzle qui permettra de construire une autre histoire de l’avenir. »
Pour tourner leur documentaire, ces jeunes gens ont juste mobilisé leurs amis sur Kisskissbank, et ils ont obtenu les fonds nécessaires : pas de recours aux banquiers ou financeurs traditionnels à ce type de production.
Et c’est passionnant, croyez-le, des gens optimistes, qui ne passent pas leur temps à avoir peur, ni à demander de l’aide, des gens qui bougent, innovent, s’inventent de nouvelles vies, de nouvelles façons d’agir, de cultiver la terre, de produire, de faire du business, d’acheter, de vendre, tout en respectant la planète, ils sont drôles (ah ce banquier suisse !), inventifs, ils ont le sourire, ils donnent envie d’agir, en fait.
Evidemment, je n’ai pas lu ou entendu beaucoup de commentaires sur ce film qui traite de sujets éminemment sérieux sans se prendre au sérieux. Courez-y, allez le voir.
Plus tard, nous reparlerons de la négociation chômage, ou de l’extraordinaire volte-face des dirigeants d’Air France dans leur manière de dialoguer avec leurs salariés.
1 29,4 Md d’euros de déficit cumulé fin 2016 d’après une prévision du bureau de l’UNEDIC le 20/10/2015
2 Même si la manœuvre n’est pas si simple puisqu’il doit négocier avec les organisations de salariés, et sous le contrôle de l’Etat qui n’est jamais très loin, puisqu’il doit donner son agrément pour qu’une convention s’applique.
3 Au moins depuis la fin des 30 glorieuses, ou depuis le premier choc pétrolier
Pas sûr que la loi El Khomri soit si désavantageuse que cela pour les salariés.
Expliquons-nous.
En France, nous vivons avec une conception de la loi du travail comme protectrice des salariés.
Oui, sans doute, pendant toute une période allant des débuts de l’industrialisation jusqu'à la fin des 30 glorieuses, voire un peu au-delà, le législateur a desserré l’étau comprimant la vie au travail du salarié en France.
Mais depuis, cette loi a-t-elle bien continué à jouer ce rôle. Ou alors de quelle protection parle-ton et pour qui ?
Depuis les 35 heures et les 5 semaines de congés, jamais le nombre de licenciements n’a été plus important, jamais le nombre de chômeurs n'a été si grand 2.
Qui peut dire honnêtement que la loi a empêché les licenciements dits boursiers ? Les délocalisations ? Ou le dépeçage de certaines grandes entreprises françaises (Alstom, Alcatel, Lafarge pour ne citer que les dernières en date) pour des raisons pas toujours très claires, et pour le plus grand profit des actionnaires .
Oui, nous avons entendu parler de luttes, parfois violentes, nous en avons vu les images. Et après ? Qui a gagné ? Qui a perdu ?
Oui, il y a eu des luttes, des combats, mais d'arrière-garde, tous perdus inexorablement par les salariés, menés souvent par leurs représentants s'imaginant chaque fois rejouer un épisode de la lutte des classes.
Un droit du travail protecteur ? Mais faut-il méconnaître à ce point la réalité de l'entreprise ? Qu’en pensent les 5 millions de chômeurs ? Qu’en pensent la majorité des femmes salariées de ce pays toujours allègrement discriminées quand les textes de loi sur l’égalité Hommes-Femmes s’empilent ? Qu’en pensent les jeunes (notamment celles et ceux issus de la « diversité »), premières victimes du chômage mais qui payeront la dette garante des « droits acquis » de leurs aînés ? Qu’en pensent les travailleurs touchés par le handicap ? Qu’en pensent les stagiaires ?
En réalité, les salariés français bercés par la vision d'un droit du travail protecteur (quand il n'est que complexe) ont peu à peu déserté le champ du débat social, voire de la lutte sociale, à un moment où les antagonismes sociaux n’ont pas cessé de s’intensifier, et ils ont été impuissants à agir en matière d’emploi, de salaire, d’organisation, de pouvoir.
Et leurs organisations arc-boutées sur une représentation défensive de la réalité de l’entreprise selon laquelle droits acquis et progrès social vont de pair, n'ont pas peu contribué au démantèlement de leurs propres forces : aujourd’hui le taux de syndicalisation dans le secteur privé plafonne à peine à 8% au plan national : peut-on encore parler de leur « représentativité» ?
Alors un projet de loi régressive ? C’est vrai, sur un certain nombre de points, elle marque une remise en cause de la loi actuelle, notamment sur la durée du travail…
Mais si cette loi avait pour conséquence de sortir les salariés de leur passivité ? Après tout, demain ils détiendront le pouvoir de discuter avec leur employeur dans l’entreprise, en face à face, et d’aborder certains sujets, aujourd’hui confisqués par le législateur ou les apparatchiks des branches professionnelles.
Du coup, le champ du débat social, de la lutte sociale, ne va-t-il pas se ré-ouvrir, se réanimer pour une meilleure régulation sociale, c’est-à-dire plus équilibrée ? Pour le plus grand profit des salariés, de l’entreprise, des citoyens ?
Bertrand Lumineau
[1] Lire « Rôles de zèbres » de Virgil Scurv , http://www.bestiaire-intime.org/home.
[2] Et sur le lieu de travail nous avons même constaté l’apparition d’une menace nouvelle, le RPS, affectant santé physique ou mentale d'un nombre croissant de salariés, de plus en plus exposés au burn-out, et même au bore-tout.
[3] Et de certains dirigeants, n’est-ce pas messieurs Kron, Combes Laffond ?
[4] Droits acquis, mais souvent à crédit, rappelons-nous les déficits abyssaux de certaines institutions, la dette que les jeunes générations vont devoir honorer.
[5] Idem en matière de représentativité patronale, qui ne sert qu’à maintenir les situations de certains.
[6] ayant relu récemment « Germinal » d'Emile Zola (1885), nous nous éviterons néanmoins le ridicule de prétendre que cette loi nous fait revenir au XIX° siècle.ngue (ou très longue) durée, ceux-ci étant ensuite indemnisés par l’UNEDIC, donc, en partie, par les salariés eux-mêmes. Solution de facilité utilisée par toutes les entreprises, en mal de compétitivité ou non.