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D’un soi-disant fléau et de quelques autres, plus réels encore...
L’année dernière la rentrée sociale s’est faite sous le signe du dialogue social, avec l’annonce d’une négociation qui n’a rien donné. Cette année, c’est le code du travail qui est à l’honneur (si je puis dire…).
Pour certains, le code du travail est naturellement destiné à protéger les salariés, et pour cette raison, il ne faut pas en bouger une ligne. Mais ceux-là ne nous expliquent pas comment ce droit protecteur a pu conduire au chômage 3 millions de personnes, ni comment les en sortir.
D’autres conspuent le code du travail à longueur de temps et le traitent de fléau - mot qui veut claquer comme une injure à l’encontre de ceux qui l’ont fait et le font encore -.
Ne leur en déplaise, la loi du travail est d’essence protectrice, et depuis l’origine 1.
Ceux-là d’ailleurs qui vilipendent la règle en matière de travail quand elle figure dans le Code feignent d’oublier2 qu'eux-mêmes et leurs prédécesseurs, justement, par le biais d'accords nationaux ou de branche, ou même d'entreprise, se sont évertués encore et encore à développer et à rendre encore plus complexes les règles applicables aux relations de l'entreprise avec son salarié. Et si les partenaires sociaux - patrons et syndicats – notamment au niveau des branches professionnelles ont été les plus grands créateurs de normes, rappelons aussi qu’ils ont figé ces normes ad vitam aeternam en signant des accords sans limitation de durée. Ces normes qui, au moins jusqu'à la loi du 4 mai 2004, devaient, en outre, être plus favorables que la loi...
Du coup, le code du travail, malgré son obésité certes détestable et sa complexité chronique due à l’empilement, ne rassemble en fait qu'une petite partie des règles applicables au travail.
Néanmoins une certaine unanimité semble se faire jour chez tous3, même les moins enclins à réformer, qui tend à ramener l’essentiel de la négociation productrice de règles au niveau de l’entreprise.
Mais est-ce vraiment une bonne idée, et loin de simplifier ne va-t-on pas plus sûrement tout compliquer ? Et, du coup, faire perdre à cette matière la clarté que la loi parvient encore à lui donner puisque par définition elle est la même pour tous4.
Et ne va-t-elle pas aussi perturber la vie sociale - en renchérissant les secteurs dans lesquels il fait bon travailler- et la vie économique rendant possible des délocalisations internes au pays sous le prétexte que dans certaines régions les partenaires sociaux auront réussi à s’entendre pour minorer le statut social.
L’Europe, de ce point de vue, nous donne un bon exemple de ce qui pourrait arriver, les entreprises privilégiant les régions où les charges sont moindres et jouant sur une sorte de travailleur détaché, qui permet actuellement et en toute légalité européenne de faire travailler en France des salariés venus des pays de l’Union européenne, certes en leur versant les mêmes salaires qu’aux salariés vivant en France, mais en payant les charges – bien moindres - dans le pays d’origine. Tout cela au nom de la libre circulation des femmes et des hommes dans la zone européenne, et de la libre concurrence, bien sûr.
Oui, la réforme du droit du travail doit avoir lieu. Et aller dans le sens de la simplification et de la clarté.
Elle doit avoir lieu, mais à 3 conditions :
1-une reconnaissance du droit des salariés au moins à se faire entendre sur les décisions de l’actionnariat et du management, ne serait-ce que pour équilibrer la vision toujours plus court termiste des actionnaires par rapport à une vision de pérennité et de développement à long terme qui est celle des salariés, plus concernés par le maintien et le développement de l’activité le travail,
2-une réforme des syndicats de salariés, allant plus loin que celle d’août 2008, allant dans le sens de plus de représentativité, plus de responsabilités, et moins de « droits acquis »,
3-une redéfinition de la répartition des profits tirés de l'activité de l'entreprise.
Quant à l'effet sur l'emploi, cela c'est une autre histoire...n'est-ce pas Monsieur Gattaz ?
Bertrand Lumineau
Conseil RH
1 Première loi sociale, celle de 1841 sur le travail des enfants, dans la foulée du rapport Villermé.
2 Mais ce pauvre du travail n'est certainement pas le seul à être obèse et parfois incompréhensible ou difficile à appliquer...et que dire de la règlementation européenne !
3 Gattaz, Badinter et Lyon-Caen, Terra Nova, Combrexelle.
4 D’autant que pendant ce temps-là, l’Union européenne ne va pas se priver de légiférer surpolitique, pouvait être tenue pour une utopie, puisque l'idée était de partager le travail, notamment pour lutter contre le chômage. Tout le monde - y compris les organisations syndicales, autres signataires empressés desdits accords - a préféré ne rien partager, et garder le travail à ceux qui en avaient déjà...confortant l'idée d'un chômage - c'est à dire d'un non travail – inéluctable pour les exclus de la formation, et pas forcément détestable pour les mieux indemnisés (dont on peut penser au demeurant qu'ils n'étaient que des chômeurs de transition...).
De l’anxiété du chef d’entreprise devant le chômage et du traitement à lui administrer
L’affaire SMART apporte un éclairage nouveau sur les relations de travail à l’intérieur de l’entreprise.
Rappelons les faits : la direction de SMART veut augmenter le temps de travail de salariés de son usine de Hambach et augmenter l’horaire collectif hebdomadaire de 35 à 39 heures, qui seraient payées 37 ; donc une augmentation de salaire de 6% pour les salariés pour une augmentation du temps de travail de 11,4%. La contrepartie est de sanctuariser les effectifs sur 5 ans.
La direction organise un référendum, la majorité des salariés se prononce en faveur de la réorganisation proposée, mais le collège des ouvriers se prononce contre.
Une négociation s’engage, 2 syndicats minoritaires signent, mais les syndicats CGT et CFDT s’opposent à cet accord, la loi leur en donne la possibilité puisqu’ils représentent + 50% des suffrages exprimés aux dernières élections.
Du coup, la Direction change de tactique et propose aux salariés une modification de leur contrat de travail. Et 97% de ces salariés acceptent la modification. L’histoire ne dit pas ce qu’il adviendra des 3% qui n’ont pas signé l’avenant.
Certes, cette affaire a un petit relent de chantage à l’emploi – mais en ces temps de chômage croissant inexorablement, où l’emploi est devenu la valeur suprême, pourquoi s’en priver ? Et d’autres, sur d’autres estrades s’en servent sans état d’âme pour réclamer à cor et à cris la disparition du code du travail.
Sauf que SMART vient de démontrer avec une rare efficacité que le code du travail ne met pas obstacle aux visées d’une Direction d’entreprise qui entend se réorganiser. Et ce, sans contourner la loi.
Cas d’espèce ? Je ne le crois pas. Les organisations patronales jouent à plein de l’angoisse du chômage pour obtenir un allègement des règles du travail. Nous avons même entendu le président du MEDEF affirmer que le contrat à durée indéterminée était anxiogène pour les chefs d’entreprise .
Naïfs que nous sommes, nous pensions que ce chef d’entreprise – qui va avec goût du risque - était plus préoccupé par la fiscalité changeante, les règles environnementales (légèrement) plus draconiennes de jour à jour, le poids de la bureaucratie nationale et européenne. Non pas, ce qui rend anxieux le chef d’entreprise, ce serait le CDI. Faut-il y croire ?
Anxiété de façon toute relative au demeurant, puisqu’une embauche sur 5 se fait par contrat à durée déterminée ou intérim .
Aux côtés du Ministre du travail, chaque mois, comme le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger , nous aimerions voir et entendre les responsables des entreprises apporter leurs commentaires sur les chiffres du chômage, ils sont les mieux placés, semble-t-il, pour cela.
Du coup, ils pourraient nous expliquer pourquoi malgré leurs compétences indéniables, et leur sens aigu de l’entreprise, ni le pacte de responsabilité qui a pourtant considérablement allégé les charges sociales (41 milliards, ce n'est pas rien), ni la diminution vertigineuse du coût de l’énergie, ni le rapprochement de la monnaie européenne vers la parité avec le dollar, sans compter l'inflation quasi nulle depuis des mois, ce qui a pour effet de mitiger largement la revendication salariale dans les entreprises, celles qui marchent, ils n’embauchent pas ou si peu….même des apprentis
Nous pourrions également les écouter sur les actions et prises de risque de leur collègues, ceux de SMART, ou Monsieur PEPY qui veut aussi réorganiser le temps de travail à la SNCF, ou les initiatives de Fernand TAVARES et Louis GALLOIS qui réforment le système des retraites chapeau des dirigeants de PSA sans attendre que le couple MEDEF – AFEP qui vient tout juste d’adapter sur ce sujet des retraite chapeau son « code de gouvernement d'entreprise » (sic) à la loi Macron, ne lance une réforme approfondie du dit code (en 2016, il n’y a pas urgence, sans doute).